de Egeswald le Lun 12 Juil 2010 15:45
Bonjour à tous,
Au risque de choquer certains, j'affirme que la "musicalité" n’est pas l’apanage des derniers modèles à la mode. Depuis le temps que les fabricants nous rebattent les oreilles avec leur progrès, d'après eux si important d'une série à sa remplaçante, nous devrions être depuis longtemps dans le plus que fidèle, le plus que musical, bref le plus que parfait ! En fait, la question de départ est sous-tendue par un postulat implicite : la musicalité progresserait avec la marche technologique. A mon avis, rien n'est moins sûr.
J’ai déjà eu l’occasion d’expliquer que dans l’histoire pourtant assez brève de la haute fidélité, il y a un petit nombre d’appareils, amplificateurs, enceintes, tables de lecture etc, dont presque tous les connaisseurs s’accordent à reconnaître les qualités musicales exceptionnelles. Ces gens ne sont pas tous a priori snobs, sourds ou nostalgiques, mais des mélomanes dont l’expérience les a conduits à ce constat.
La musicalité des appareils "anciens" (30 ou 35 ans, tout est relatif) ne s'est pas évanouie avec les années ; ce qui a changé, c'est notre manière de la recevoir. La généralisation des procédés numériques, l’écoute du MP3, la sonorisation même de tant de concerts, y compris de musique classique, ont profondément modifié notre manière d’écouter, c’est incontestable. Il n’en reste pas moins qu’au-delà de ces contingences, je ne vois pas au nom de quoi un appareil réellement musical il y a 25 ans ne le serait plus, ou moins, aujourd’hui, sous réserve évidemment d’être en parfait état. J’ai même la faiblesse de penser que dans bien des cas, et en dépit de mesures souvent médiocres, ces appareils sont souvent plus satisfaisants à l’écoute que leurs contreparties modernes.
J’ai eu l’occasion d’écouter récemment un Pioneer 8500-II en état impeccable. J’ai été surpris, et en bien, par sa musicalité ; ce n’est qu’un exemple parmi bien d’autres. Quant à la qualité de fabrication des engins de cette époque, elle enterre littéralement celle de la plupart des appareils actuels, dont bien peu à mon avis survivront en état de fonctionner dans 15 ou 20 ans. Il est également vrai qu’en valeur relative, ces appareils coûtaient beaucoup plus cher que leurs équivalents actuels et qu'aujourd'hui, une électronique McIntosh ou Marantz de la grande époque, en parfait état de présentation et remise en état si nécessaire (c'est-à-dire scrupuleusement restaurée, pas "améliorée" ou bidouillée de façon plus ou moins aléatoire) se négocie à un tarif équivalent à celui d'un Leben ou un Mactone neufs...
A plusieurs reprises, j'ai eu la possibilité d'écouter dans d'excellentes conditions de grandes électroniques à tubes parfaitement reconditionnées par un spécialiste, alimentant des enceintes du même calibre. Avec en source une Garrard 401 ou un Lector CDP-7, c'était proprement somptueux, je pèse le mot. Mais bien entendu, ne prenez mon avis que pour ce qu’il est : un avis personnel. Je n’ai ni vos oreilles ni votre sensibilité, et ce qui me plait ne vous séduira pas nécessairement.
Je crois qu'il faut aussi s'entendre sur le sens de l'expression "matériel vintage". Il ne suffit pas qu'un appareil soit un peu ancien pour qu'il s'agisse d'une irremplaçable merveille ; la plus grande partie des productions Thomson, Scientelec, Akaï et autres B&O des années 70 est aujourd'hui totalement oubliée et ce n'est guère surprenant.
Par contre, Les véritables références musicales (j'insiste sur ce terme) que sont les LS3/5a, LS5/9, BC1, BCIII, Quad 57 et 63, KEF 105, McIntosh C11, MC 225, MC 240, MC 275, Marantz Model 7, Model 8B, Model 9, Luxman L-560 etc sont encore aujourd'hui des références en matière de musicalité, à condition de ne pas avoir été "améliorés" sans discernement. Le progrès n'est pas un phénomène linéaire et n'est pas nécessairement quantifiable ; déjà en 1965/1970 la reproduction musicale avait atteint une certaine forme d'aboutissement. Mais de même que personne n'aurait l'idée de mettre des pneus de Formule 1 à une Bugatti, fut-elle de course, de même il n'est pas musicalement cohérent d'alimenter une enceinte de cette époque avec n'importe quelle électronique actuelle ; certaines associations pourront donner de très bons résultats (exemple : BC1 et Cochet ou Leben à tubes), la plupart seront décevantes. En revanche, ces mêmes BC1 avec un ensemble McIntosh de la grande époque vous transportent dans une autre dimension. Ah oui, évidemment, le prix peut être assez... comment dire... conséquent.
Tous ces appareils, dont le dénominateur commun est une très grande musicalité (qui échappe évidemment aux chiffres et aux mesures) et aussi, le plus souvent, une très belle qualité de fabrication, sont activement recherchés par des connaisseurs japonais, américains, européens aussi, et leur raréfaction ajoutée à ces recherches font monter les prix de manière très sensible. Un exemple : les LS 3/5a ont vu leur prix multiplié par presque 2 en 5 ans pour une paire en parfait état. La cote d'un véritable "vintage", c'est-à-dire d'un modèle recherché, dépend à la fois de sa rareté et de son état. Une paire de McIntosh MC 30 en parfait état de présentation et de fonctionnement tourne autour de 4500 euros par exemple ; c'est à la fois beaucoup et raisonnable si l'on considère la qualité de réalisation des appareils de ce genre, le temps passé pour les restaurer (je dis bien "restaurer" et non pas modifier) et la qualité de restitution obtenue.
Là où sans doute d'intéressantes découvertes sont encore à faire, c'est dans la frange pour le moment un peu moins défrichée des engins de conception et de fabrication plus industrielles mais néanmoins de qualité des années 80, soit les grandes années japonaises. Il y avait alors chez Luxman, Pioneer, Sansui, essentiellement en matière d'amplification, de très belles réalisations. Malheureusement, elles se sont vendues en Europe en petit nombre car elles étaient encore fort coûteuses et sont donc rares sur le marché de l'occasion. Par ailleurs, ces appareils font usage de références de transistors depuis longtemps hors production et sans véritables équivalences actuelles ; en conséquence, ces beaux appareils sont encore plus délicats à restaurer en cas de problème que leurs prédécesseurs à tubes. Il faut donc s'assurer lorsqu'on trouve un de ces engins qu'il n'a pas été "amélioré" et qu'il n'a subi aucun outrage électrique. Mais il est certain que ces amplis font encore forte impression aujourd'hui ; un Luxman L-560, ou dans un genre passablement différent, un Pionner SA 9500, sont de superbes bêtes qui peuvent encore donner des leçons de modestie à bien des productions "modernes".
Quant à l'intérêt musical de ces modèles "vintage", il est pour moi hors de doute. Lorsqu'ils sont en bon état, n'ont pas été "améliorés" (par exemple par changement des composants du filtre des enceintes pour des éléments actuels qui peuvent en détruire l'équilibre) et bien mis en oeuvre (merci de ne pas tirer de conclusion si vous les faites fonctionner avec un ampli home-cinema...), le résultat est magnifique : une paire de Rogers LS3/5a, en dépit de leurs limitations théoriques bien connues (rendement exécrable, bande passante limitée, puissance admissible ridicule), surtout des 15 ohms de numéros consécutifs inférieurs à 50000, peut être fabuleusement musicale, y compris sur de la musique "difficile" (piano, grand orchestre...). Idem pour des Spendor BC 1 ou BC III, des KEF 105 (de préférence Serie II), des Celestion SL6S ou mieux encore SL12, des Elipson 1303 déjà citées, des J.M. Reynaud Opéra...
Est-ce à dire qu'il suffit qu'une enceinte soit "vintage" pour qu'elle soit bonne ? Non évidemment ; mais précisément, si l'essentiel de la production, vintage ou pas, est destiné à sombrer dans un oubli fréquemment justifié, quelques références continuent à procurer d'inestimables satisfactions à leurs propriétaires et à en faire saliver d'autres. C'est que le temps a passé ; la perception de leurs qualités et défauts respectifs s'est décantée, l'attrait de la nouveauté, si passager, a fait place à une appréciation plus réfléchie, plus tournée vers la musique, moins vers les chiffres et les courbes. Ces modèles sont un peu à la haute fidélité ce que les Pesarinius, Amati et autres Klotz sont à la lutherie. Mais il faut se donner du mal pour en tirer le meilleur, trouver notamment les associations qui chanteront au mieux ; les amplis genre Quad, Leak ou McIntosh, sont tout indiqués avec des enceintes de la mêmepériode, parce que leurs concepteurs avaient peu ou prou la même approche de la reproduction musicale, appelons cela la même culture, au sens large, et qu'ils connaissaient mieux que tout les enceintes qui se faisaient au même moment.
Enfin, il est certain que l'écoute de presque tous les amateurs de haute fidélité a beaucoup évolué en 25 ou 30 ans. La plupart d'entre nous n'ont plus comme référence auditive que des musiques enregistrées, et le plus souvent des musiques électro-acoustiques, c'est-à-dire dont l'exécution elle-même passe par mélangeurs, amplificateurs et enceintes. Quelle est, dans ces conditions, la référence acoustique à laquelle comparer la restitution de nos installations ? Où finit la fidélité et où commence la distorsion, au sens de modification du phénomène reproduit ? Il ne s'agit là ni de critiques ni de regrets, mais de constatation qui explique, au moins en partie, une évolution (ce qui ne signifie pas progrès).
Conclusion : oui, il faut sauver ces appareils parce qu'ils sont encore aujourd'hui capables de fournir des émotions esthétiques d'ordre supérieur. Cela ne signifie évidemment pas que ce qui se fait actuellement est médiocre ou sans intérêt ; ils n'appartiennent pas vraiment au même monde. Et le nouveau monde n'est pas forcément meilleur que l'ancien ! Merci de m'avoir lu.